L’artiste moderne est condamné à être original et différent. ll faut qu’il étonne et qu’il choque. Dépendant d’un public qui gazouille (*), il cherche le ramdam (**) et doit marquer sa particularité à coup de surprises, de changements de direction inattendus et d’étonnantes révélations personnelles. Etant en route pour la gloire, je me trouve donc dans l’obligation de faire mon intéressant en dévoilant à mes fans avides de confession intime une passion pour le moins incongrue.
Je pensais afficher publiquement mon amour pour le théâtre de Nô mais le calendrier a imposé le thème. Ce sera le snooker. Pourquoi le snooker ? Pour parler de queue, de boules et de trous sans avoir l’air de commenter le dernier film de Marc Dorcel ? Non. Mais plutôt parce qu’en ce mois de Mai, où l’on peut faire ce qui nous plaît, c’est le championnat du monde. Dans la belle ville de Sheffield, Marc Selby va affronter Ronnie O’sullivan en finale. Le suspens est immense. Une foule immense, dont je fais partie, s’apprête à suivre cet événement interplanétaire (ou du moins britannico –anglais) tout au long du week-end. Quand on aime on ne compte pas : ce sera au meilleur des 35 manches.
À bien y réfléchir, si je compare avec le football, je suis assez fier de mon choix de sport. D’un coté quelques musculeux imbéciles déguisés en panneaux publicitaires phosphorescents et de l’autre des athlètes au physique de comptable, vêtus d’élégants costumes sombres. Pour les footeux, le spectateur doit endurer des efforts désespérés et souvent vains, des courses haletantes et désordonnées aboutissant à quelques rares contacts d’une balle avec un filet. Les frappes sont violentes et rares, elles déclenchent un vacarme assourdissant (clair symptôme d’une frustration enfin libéré) ainsi qu’un étrange attroupement constitué d’enlacements douteux et de viriles bousculades pouvant évoquer, au choix, une fin de soirée chez Elton John ou les chamailleries de jeunes chiots. Le snookeux assiste, lui, à un élégant ballet de précision et de grâce où chaque actions semble pensée, pondérée, anticipée. Les coups sont équilibrés, la puissance alterne avec la finesse ; à tel point qu’à la lecture des parfaites trajectoires rectilignes, l’on comprend enfin les arcanes de la géométrie euclidienne. La disparition des boules rouges est régulière, espérée et attendue ; leur chute inexorable est une subtile allégorie de notre destinée, elle est d'ailleurs saluée respectueusement par quelques applaudissements convenus.
Coté foot, des supporters hargneux, vindicatifs et hurlants, passablement avinés et vulgaires. Coté snooker, une masse britannique immobile : beaucoup de vieux anglais guindés et flegmatiques qui somnolent de plaisir et quelques jeunes enthousiastes, invités à se taire par un service d’ordre discret mais efficace. Pour les uns, on connait Zaya, le charme de son langage et la générosité de ses mœurs, pour les autres on imagine des James bond girls érudites et mystérieuses, sirotant des martinis en robe de soirée. Pour le ballon rond, une règle simple : ne pas se faire prendre. Ce qui n'empêche pas l’arbitre de s’imposer à grand renfort de gestes grandiloquents tout en restant stoïque sous les insultes des uns, les postillons des autres et la forte odeur de transpiration de tous. Autour de la grande table verte, des règles élitistes impliquant qu'il faille savoir compter jusqu'à 147; et comme charismatique superviseur un majordome silencieux qui ne sort de l’ombre qu'à la demande des protagonistes histoire de repositionner pompeusement une boule de couleur au bon endroit ou bien pour essuyer de ses gants blancs une sphere blanche légèrement tâchée d’un peu de poudre bleue.
Reste quand même qu’entre Rio et Sheffield....
PS pour les anglophones : (*) Twitt (**) Buzz.